Patrick Orméa
Patrick Orméa, garde-moniteur du parc national du Mercantour, premier observateur du retour des loups en France (novembre 1992).
Vingt ans après
La Croix du 02/11/2012
Le thermomètre monte tout juste au-dessus du zéro, malgré le soleil qui enflamme déjà les sommets du Mercantour tout autour de la vacherie du Collet, sous le col de Salèse, dans le haut du vallon de Mollières. Patrick Orméa avance à grandes enjambées, les jumelles bien serrées dans sa main droite. En cette aube de fin octobre, la montagne offre une explosion de couleurs : les bleus – de l'ardoise à l'azur – qui s'étagent du lit du torrent au zénith du ciel ; les verts et les bruns des alpages d'automne ; les ocres flamboyants des mélèzes… Ses yeux scrutent intensément les cimes et ses pas le mènent, au mètre carré près, sur cette « place » d'observation qu'il occupait il y a vingt ans, le matin du mercredi 4 novembre 1992. Regard accroché sur la crête de Colombrons (2 600 mètres d'altitude environ), le garde-moniteur du parc national du Mercantour évoque ce grand moment de sa vie : la vision d'un couple de loups se promenant au soleil levant, testant la vigilance d'une harde de mouflons, s'asseyant pour contempler le vallon de Mollières ouvert devant eux.
« J'étais posté ici, pour réaliser un comptage de chamois et de mouflons. J'inspectais la lisière de la forêt, juste sous les pointes de Giegn et de Colombrons. Le temps était magnifique, mais il y avait déjà de la neige. » Patrick Orméa évoque l'apparition, comme si elle se déroulait à nouveau devant lui : « Il était 7 h 30 du matin. Je regardais les chamois et les mouflons aux jumelles. Soudain, sur la crête, j'ai vu un chien assis à côté de petits mélèzes. Juste au même moment, une harde de mouflons s'est éparpillée et un deuxième canidé est arrivé. J'ai sorti la longue-vue avec un grossissement de 25 fois et j'ai commencé à détailler ces deux visiteurs. J'ai vu le deuxième de profil, la queue bien pendante, très gris, haut sur pattes, svelte, la tête sous le niveau des épaules… Ces détails m'ont fait penser que c'étaient des loups. »
Vingt ans après, le garde-moniteur rit d'avoir vécu un tel instant, même s'il n'a pas pu, sur le coup, partager son observation – et son émotion –, devoir de réserve oblige. Il est aussi heureux de pouvoir tirer un bilan positif, « malgré quelques complications », du retour du loup en France et dans le Mercantour. Officiellement disparue dans les années 1930, l'espèce Canis lupus est désormais présente dans toutes les Alpes, le Massif central et les Pyrénées-Orientales, à raison d'environ 200 individus répartis en une vingtaine de meutes.
« C'est une réussite ! s'exclame Patrick Orméa, car l'État, que nous représentons, n'a jamais failli dans sa double mission de protection de la nature et de soutien à l'élevage en montagne. » Les chiffres lui donnent d'ailleurs raison. Les chamois étaient 6 000 en 1992, dans les limites du parc national ; ils sont près de 10 000 aujourd'hui. Les cerfs étaient rares ; on en compte près de 2 500 maintenant. Satisfaction essentielle : « Il y a autant d'éleveurs et de moutons en montagne qu'il y a vingt ans », constate l'agent du Mercantour.
Quant aux loups, depuis le premier couple observé sur la crête du Colombrons, à l'aube du 4 novembre 1992, ils ont aussi prospéré. Aux dernières nouvelles, une nouvelle meute vient de s'installer, cette année, en haute vallée du Var, portant leur nombre à une quarantaine d'animaux répartis sur tout le massif (environ 2 150 km2). Enveloppant le vallon de Mollières d'un vaste geste de sa main ouverte vers le ciel, Patrick Orméa ose une question qui lui tient à cœur : « En 2012, n'est-il pas temps de faire la paix avec la nature ? »
Une date
Le 4 mars 1993, il raconte enfin son observation
Il n'était pas évident de faire connaître le retour du loup en France, du fait de l'opposition attendue de très nombreux acteurs. La première synthèse officielle de l'observation de Patrick Orméa ne fut réalisée que quatre mois plus tard, lors d'une discrète réunion organisée par la direction du parc national du Mercantour. Étaient présents, entre autres : Pierre Pfeffer, président du conseil scientifique, trois gardes-moniteurs et deux journalistes du magazine Terre sauvage, qui publia l'information en mai 1993. « Le soir même, je suis allé dormir chez Auguste(un autre garde-moniteur),à Saint-Martin-Vésubie, raconte Patrick Orméa. Il m'a dit : “Moi, j'ai entendu un animal qui feulait à la Madone de Fenestre.” Il pensait à un lynx. Tout d'un coup, il y avait du lynx, du loup… Je n'ai pas dormi de la nuit. »
Antoine Peillon