Secours populaire de Paris
La nouvelle alliance des associations
Dès le début du confinement, les bénévoles du Secours populaire ont multiplié les actions auprès des familles dont les difficultés à subvenir à leurs besoins ont été provoquées ou accentuées par la pandémie de Covid-19.
Dans le plus strict respect des mesures d’hygiène, de petites équipes de salariés volontaires et de bénévoles ont assuré l’aide alimentaire et les maraudes qui, au-delà de l’aide matérielle, ont apporté un lien social vital aux personnes sans-abri.
Reportage au libre-service solidaire du Secours populaire de Paris (10, rue Montcalm, 75 018), le 23 avril 2020 : https://blogs.mediapart.fr/antoinepeillon/blog/180520/la-solidarite-contre-le-coronavirus-1
À 9 heures, ce matin, le rideau métallique du libre-service du Secours populaire de Paris, est à demi-relevé. La rue Montcalm, sur laquelle ouvre ce local qui est un ancien entrepôt, est encore déserte. Le temps est ensoleillé, comme depuis plusieurs semaines, tempérant un peu la gravité de la situation sanitaire et sociale par un air printanier qui nourrit aussi les conversations.
Ismaël Bejaoui, 37 ans, salarié du secours populaire (logistique, vestiaire et alimentaire, « ramasse »), depuis juin 2019, prépare le café pour l’équipe de bénévoles. Chauffeur de bus et de cars (tourisme, scolaires, pèlerinages…), entre 24 et 35 ans, il a eu le sentiment d’avoir « fait le tour de (s) on métier trop solitaire ». Il a donc fait « des études d’éducateur socioculturel ». « Je suis revenu à mes bases sociales, explique-t-il. On se sent plus utile. On ne travaille pas que pour de l’argent. Et les” mercis” de ceux que l’on aide font chaud au cœur. »
Cinq jours par semaine
Avant l’arrivée des bénévoles, Martin Van Der Hauwaert, 27 ans, gestionnaire du libre-service et de l’aide alimentaire du Secours populaire de Paris, règle les derniers détails d’organisation pour toute la journée. Le jeune homme ne perd pas une seule seconde, pressé de mettre à jour l’inventaire des ressources du jour qui commence, tant en marchandises qu’en nombre et en compétences des bénévoles attendus jusqu’à 11 heures. D’emblée, il exprime la tension et l’inquiétude dans lesquelles il accomplit sa mission, depuis le commencement de la pandémie de Covid-19 et du confinement.
Il est 9 h 10. Un premier petit groupe de bénévole se forme dans la cuisine du libre-service, faisant tous les efforts possibles pour respecter la distance d’un mètre au moins entre chaque personne. Abdel Nahas, 39 ans, bénévole, est présent cinq jours par semaine, du lundi au vendredi. Chauffeur livreur, ayant plusieurs années d’expérience professionnelle dans l’événementiel, il participe principalement à la « ramasse », mais aussi aux livraisons de repas dans les hôtels sociaux (Samu social) parisiens : « Actuellement, je ne travaille pas. J’utilise mes compétences pour me rendre utile, notamment pour les livraisons en camion et la gestion des palettes de marchandises. »
Aider concrètement les gens
Juliette Bézard a 23 ans. Elle est volontaire du service civique, depuis novembre 2019, travaille habituellement à l’antenne du XIIIe arrondissement du SP (accompagnement vers l’emploi), actuellement fermée pour cause de crise sanitaire. Elle raconte : « Je n’habite pas très loin d’ici. Je suis venue donner un coup de main dès le début du confinement. Le matin, souvent, j’accompagne Ismaël Bejaoui ou Pascal B. (lire, ci-dessous) dans leurs tournées de ramasse. Je participe aussi aux livraisons aux hôtels sociaux, ou à l’accueil, sur place, des bénéficiaires du Secours populaire. » Étudiante en russe (première année), après un master de management financier, deux ans d’apprentissage dans ce secteur d’activité ne l’ont « pas emballée plus que ça… ». « J’avais besoin d’aider concrètement les gens », explique-t-elle aujourd’hui.
Le passage matinal par la cuisine du libre-service n’est pas que convivial. Juliette Bézard y prend la température de Julie Robineau, 18 ans, étudiante en photographie et vidéo à l’École de l’image Gobelins, bénévole « depuis quelques mois ». « Dès le commencement de la crise sanitaire », celle-ci participe à tout : accueil, caisse, planning, distribution, cuisine à midi, pour l’équipe… Elle est « bien décidée, lorsque les cours reprendront à son école, à continuer de venir ici ». « Je m’y sens un peu plus utile que si je restais chez moi », dit-elle avec modestie. Son engagement actuel représente aussi « l’acquisition d’une expérience pratiquement professionnelle, équivalente à un stage, notamment dans la gestion des stocks ».
Avec le sourire
Juliette Bézard travaille habituellement à l’antenne du XIIIe arrondissement du Secours populaire (accompagnement vers l’emploi), actuellement fermée pour cause de crise sanitaire. En ce début de matinée, elle ne tarde pas à appeler les fournisseurs et donateurs habituels, avant que les tournées de « ramasse » ne commencent.
Profitant du calme avant la tempête, Pascal B., 43 ans, régisseur, bénévole, apprécie de converser avec Abdel Nahas, avant de partir en « ramasse » avec Julie Robineau. Vers 9 h 30, ces deux coéquipiers préparent leur camion, avant de partir dans le Nord de Paris (XVIIe et XVIIIe arrondissements). Dans l’habitacle, Julie Robineau règle la radio sur Radio Nova, afin de « rythmer l’ambiance ». Elle trouve que les relations entre bénévoles sont « géniales, hyperfamiliales, fondées sur le partage et les aspirations communes, malgré la diversité des histoires personnelles et des milieux d’origine ». « On fait tout avec le sourire », dit-elle.
Pascal B. souligne, avec humour, combien l’équipe actuelle du libre-service solidaire du Secours populaire est « jeune et dynamique, au point de (l) e fatiguer, parfois ». Cependant, il se dit « parfois découragé » par la profondeur de la crise sociale, vivant « au jour le jour » pour éviter de trop penser à l’avenir. « Il y a de plus en plus de misère, constate-t-il. Le nombre de sans-abri et de gens dans la galère est de plus en plus important ! »
Il raconte ainsi : « Un de nos bénéficiaires, J., m’a dit qu’il ne mangeait plus pour éviter d’avoir à aller aux toilettes, dans la rue. Au début du confinement, nous servions entre 70 et 80 familles par jour. Aujourd’hui, nous en sommes à environ 150. Avant, les bénéficiaires nous prenaient principalement les produits frais et laissaient souvent les boîtes de conserve. En ce moment, ils prennent tout. Ils n’ont plus la possibilité de s’approvisionner en glanant au moment des fins de marchés, ceux-ci ayant été interdits. Au-delà de la nourriture, qui manque de plus en plus, les SDF sont isolés comme jamais, alors qu’ils ont surtout besoin de lien social, qu’on leur parle. »
Une collecte à la baisse
Il est 9 h 55. Pascal B. et Julie Robineau arrivent à l’entrepôt de Metro Paris Nord La Chapelle, grossiste pour professionnels. Ils sont impressionnés par « le vide », dans le parking comme dans les locaux commerciaux. Ici, nul n’entre s’il ne s’est pas désinfecté les mains… Les deux bénévoles sont accompagnés par Meslem, 45 ans, agent de sécurité, qui trouve « sympa » l’action du Secours populaire. Rapidement, Julie Robineau réceptionne le chariot de marchandises préparé chaque jour par l’entrepôt du grossiste. Elle y jette un premier coup d’œil : aucun produit ne doit, théoriquement, avoir dépassé la date limite de péremption.
Les quantités de marchandises récoltées sont à la baisse, depuis quelques mois, du fait de la pratique de plus en plus massive des « promotions » (produits arrivant à leurs dates limites de péremption). Julie Robineau raconte qu’elle n’a « pas vu venir la pandémie ». Mais, aujourd’hui, ayant vécu pendant sept ans à Dakar (Sénégal), elle exprime « (s) a peur pour l’Afrique ». Pour l’avenir, elle se dit « plutôt optimiste », pensant que « nous vivrons autrement, après cette mauvaise passe ». Avec Pascal B., elle vérifie plus précisément le chargement du chariot de marchandises (dates de péremption des produits). En toute confiance ! La jeune femme témoigne du fait que les relations avec les commerçants sont « presque amicales ». Ajoutant : « Ils sont super-gentils, nous connaissent, nous reconnaissent, nous encouragent souvent. » Mais aujourd’hui, le chariot est étrangement chargé de foie gras, beurre, jambon, terrines… Beaucoup de bénéficiaires du Secours populaires, étant musulmans, ne peuvent consommer du porc.
L’humanité des commerçants
Il est 10 h 45. Julie Robineau, conduit un nouveau caddie de marchandises, préparé chaque jour par le Super U de l’avenue de Clichy (Paris XVIIe), géré par Maurice Charbith et son fils Nathan. La valeur annuelle des produits fournis par ce supermarché de quartier au Secours populaire est estimée à environ 90 000 € (60 % en déduction d’impôt). « C’est gagnant-gagnant », commente Maurice Charbith, ajoutant qu’il est « content, aussi, de participer à l’œuvre du Secours populaire ». Avant de commenter : « Cela pallie un problème, mais ne le résout pas. » Comme Pascal B., Julie Robineau se dit « touchée par l’humanité des commerçants, les caddies préparés avec soin, les responsables de rayons qui rajoute des produits, au passage… » De fait, ce matin, la boulangère du Super U de l’avenue de Clichy encourage les deux bénévoles par ses plus beaux sourires.
Il est 11 h 10. Le gérant du Naturalia de la rue Duhesme (Paris XVIIIe) aide, lui aussi, à charger les produits qu’il donne, comme chaque jour, au Secours populaire. Dix minutes plus tard, avant de repartir vers les locaux de l’association, un instant de pause permet à Pascal et Julie de souffler un peu, de prendre le soleil, de fumer une cigarette. À 11 h 35, la ramasse reprend et passe par la réserve du Monoprix de la rue du Poteau (Paris XVIIIe). Il est temps de revenir rapidement au libre-service de la rue Montcalm où la distribution des aliments commencera dans moins d’une heure.
Une alliance inédite
Sur place, Kamel, bénévole de l’Armée du salut, vient chercher, aujourd’hui, des aliments au Secours populaire. « Depuis le confinement, c’est "Je te donne, tu me donnes…", raconte-t-il. Aujourd’hui, nous manquons de ressources et eux (le SP) ont de quoi donner… » Une exceptionnelle coopération inter-associations s’est effectivement mise en œuvre, depuis le début de la crise sanitaire. « Appui mutuel et complémentarité sont désormais les maîtres-mots pour un tissu associatif parisien mobilisé contre les effets sociaux de la pandémie », selon un dernier communiqué du Secours populaire de Paris.
Le 17 avril, la fédération parisienne de l’organisation se félicitait clairement de cette alliance inédite : « Tous les jours, nos amis des Restos du cœur, des Banques alimentaires, de Linkee, du Chaînon manquant, du Refettorio, approvisionnent notre centre alimentaire de la rue Montcalm en surplus alimentaires, produits de ramasse et produits d’hygiène. De notre côté, nous démultiplions notre solidarité en livrant en denrées alimentaires et paniers repas les associations qui fournissent repas et/ou hébergement aux plus fragiles, notamment les migrants et les sans-abri. On citera la Chorba, l’Un est l’autre, l’Armée du salut, le Samu social, Utopia 56, la Soupe populaire de Paris, Action contre la faim ou encore l’association Aurore. Sans oublier les autres grands acteurs de la solidarité – Croix-Rouge, Secours catholique, MSF – avec lesquels nous échangeons en toutes occasions information et coups de main pour une logistique toujours plus efficace et bénéfique au plus grand nombre. »
Une chute des dons
À partir de midi, les bénéficiaires de l’aide alimentaire du Secours populaire prennent place dans la file d’attente. Les colis alimentaires préparés dans le local comprennent, autant que possible, des fruits et légumes. Martin Van Der Hauwaert, 27 ans, gestionnaire du libre-service et de l’aide alimentaire du Secours populaire de Paris, explique, lui aussi, que la coopération inter-associations actuelle est « un nouvel axe » appelé à perdurer. « Nous avons mis en œuvre une plate-forme inter-associations, dès le début du confinement, raconte-t-il, en utilisant nos téléphones et des groupes de discussion sur messageries numériques. Partage de marchandises, de ressources logistiques, mais aussi de bénévoles : c’est un vrai réseau qui s’est constitué très vite sur Paris, mais aussi en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine. Notre notoriété, comme celle de grandes associations, fait que nous recevons parfois plus de dons que nécessaire, aussi nous répartissons la charge de leur distribution avec d’autres associations, moins bien pourvues. Ce partage des ressources, c’est un vrai plus pour les années à venir. »
Cependant, « depuis quelques jours, nous enregistrons une chute des dons alimentaires, alerte le jeune homme, et les stocks ne tiendront que jusqu’à la fin du mois de mai ». Avant de préciser : « Seuls les acteurs industriels, les grossistes ou grands transporteurs, nous proposent encore de la marchandise. Mais c’est souvent :”Vous prenez tout ou rien’’, à propos de lots impossibles à stocker avec nos moyens actuels. D’où la nécessité de nous coordonner et de gérer ensemble des zones tampon de stockage, des chambres froides, dans des gymnases, des locaux scolaires inoccupés… »
Rappel des règles d’hygiène
Martin Van Der Hauwaert confirme les informations données par Pascal B. dans la matinée : « Ici, au libre-service solidaire du Secours populaire, avant la pandémie, nous subvenions aux besoins alimentaires de 65 familles, chaque jour, en moyenne. Aujourd’hui, ce sont 150 familles qui viennent jusqu’à nous quotidiennement. À cela, il faut ajouter – ce qui est nouveau pour nous - les 1 500 repas que nous livrons, chaque jour encore, grâce à cinq véhicules réfrigérés, dans les hôtels sociaux de Paris, une vingtaine d’établissements du Samu social. »
À midi et demi, juste avant l'accueil des bénéficiaires, Martin Van Der Hauwaert fait son briefing quotidien à l'équipe des bénévoles. Rappel des règles d'hygiène ; annonce, ce jour-là, de la suppression des colis d'urgence à partir du lendemain à cause d'une rupture de stock ; nécessité renforcée de ne plus servir les personnes « hors critères », notamment géographique (92 et 93) ; répartition des six tables d'accueil et des autres tâches à accomplir (caisses, approvisionnement...). Juliette Bézard est songeuse. Et le regard de Lucile Gasseau, 34 ans, bénévole, habituellement mobilisée sur les cours d’alphabétisation proposés par le Secours populaire, est traversé par une ombre d’inquiétude.
Donner à tout le monde
À 12 h 35, les premières et premiers bénéficiaires entrent dans le local, après avoir désinfecté leurs mains au distributeur de gel hydroalcoolique. Tous les produits distribués sont comptabilisés par Juliette Bézard. Et les cartes de bénéficiaires sont mises à jour. Les lots d'aide alimentaire permettent de se nourrir pendant plusieurs jours et comportent des produits frais. De toute façon, les bénéficiaires sont encouragés à faire leur choix parmi les aliments qui leur sont proposés.
À 13 h 30, des bénévoles, dont Émeline Germain, 29 ans, architecte, permis de conduire en poche, partent livrer, jusqu’à 17 heures environ, des repas dans des hôtels sociaux parisiens. La jeune femme trouve important de pouvoir « donner à tout le monde, même à celles et ceux qui ne peuvent venir jusqu’au libre-service, ou qui ne sont pas des bénéficiaires encartés du Secours populaire, ou qui sont obligés de rester intégralement confinés, pour des raisons d’âge ou de santé… » De façon générale, Les bénéficiaires représentent presque toujours des familles. Et en un mois, leur nombre a plus que doublé (de 65 par jour, en moyenne, à près de 150...) !
Un énorme dégât social
Il est presque 17 heures et l’ambiance se détend à peine, après l’afflux des bénéficiaires. Martin Van Der Hauwaert, sous tension, est au bord de l'épuisement. Sur le trottoir, devant la porte encore ouverte du libre-service, François Baron, 66 ans, secrétaire départemental (Paris) du Secours populaire, bénévole à raison de 3 jours par semaine, est très critique quant au confinement général, la gestion gouvernementale de la crise sanitaire, les causes écologiques de la pandémie de coronavirus..., mais relève la vitalité de la solidarité (bénévoles, dons...) et la mutualisation nouvelle des moyens entre associations.
Il ne comprend pas la radicalité du confinement qui génère, selon lui, « un énorme dégât social, notamment pour « les personnes âgées, isolées, fragiles, malades ou à la rue ». Il dénonce « une gestion publique de la société trop éloignée de l’intérêt commun » et « cette folie de la croissance… ». Cependant, François Baron se dit très encouragé par le nombre croissant de bénévoles et le développement des liens avec les autres associations. « Quand je vois toute cette solidarité humaine ! », se rassure-t-il.
(Encadré 1) Abdelsem Ghazi
Secrétaire général de la fédération de Paris du Secours populaire
« Les pouvoirs publics sont dépassés »
Comme Martin Van Der Hauwaert, gestionnaire du libre-service et de l'aide alimentaire du Secours populaire de Paris, Abdelsem Ghazi pense que la demande d’aide alimentaire sera croissante, au moins jusqu’à la rentrée de septembre. « Nous sommes dans une crise humanitaire d’urgence et ça devient catastrophique », affirme-t-il. « Toutes les personnes qui vivaient ’’sur le fil’’ ont perdu toute possibilité de subvenir à leurs besoins vitaux. Nous agissons sans visibilité depuis cinq semaines. Aujourd’hui, la pénurie alimentaire est à l’ordre du jour, surtout pour les produits frais, mais aussi pour ’’le sec’’. Par ailleurs, les dons en argent sont au plus bas, alors que les demandent d’aide ont presque doublé en cinq semaines. Nous livrons ainsi des centaines de repas dans les hôtels sociaux ou chez des personnes âgées ou handicapées qui ont été complètement confinées, ce qui est évidemment nouveau. »
À propos de son organisation, Abdelsem Ghazi relève que « les salariés sont hyperfatigués, travaillant actuellement au maximum de leurs capacités ». Avant de préciser : « Sur Paris, nous soutenons quelque 19 000 bénéficiaires, chaque année, en moyenne. Nous serons très prochainement au doublement de ce nombre ! Or, les pouvoirs publics sont dépassés, même si la Ville de Paris, et Dominique Versini[2] en particulier, fait un excellent travail de coordination. Quant à l’État, il est aux abonnés absents. »
« Heureusement, précise le secrétaire général du Secours populaire parisien, nous échangeons beaucoup, comme jamais auparavant, avec presque toutes les autres associations, via le téléphone ou des groupes de discussion électronique. Que ce soit pour l’accès au marché professionnel de Rungis, ou des achats directs auprès de producteurs. C’est une pratique d’échanges que nous avions déjà avec l’Armée du salut, par exemple, notamment en faveur de l’alimentation des réfugiés de la porte de la Chapelle (Paris XVIIIe). Nous avons une bonne expérience de la collecte d’aliments et eux sont très efficaces dans la distribution. C’est un partage d’expériences, qui produit une meilleure efficacité. »
Pour les semaines à venir, Abdelsem Ghazi craint que le déconfinement et la fin du chômage partiel n’entraînent une chute du nombre de bénévoles disponibles, surtout en ce qui concerne les plus jeunes et les nouveaux. L’engagement spontané, rapide et massif de ceux-ci fut d’ailleurs une très bonne surprise : « Depuis un mois, nous avons reçu plus de mille propositions de participation ! » Autre sujet d’espoir, les discussions avec les autres associations ouvrent « de nouvelles pistes de réflexion pour plus de travail en commun, pour plus d’approvisionnements en produits locaux et de saison, plus de missions communes ». De même, le secrétaire général du Secours populaire de Paris note avec bonheur l’évolution morale des bénévoles, « moins militants, certes, mais plus en recherche d’un sens à leur engagement ».
(Encadré 2) Le Secours populaire
Né à la Libération, en 1945, le Secours populaire est une association reconnue d’utilité publique qui « s’est donnée pour mission d’agir contre la pauvreté et l’exclusion en France et dans le monde et de promouvoir la solidarité et ses valeurs ». Grâce à l’engagement de ses quelque 80 000 bénévoles, le Secours populaire aide, chaque année, plus de 40 000 personnes dans leur insertion professionnelle, accompagne le même nombre d’enfants en soutien scolaire et dans la lutte contre l’illettrisme, permet à plus de 115 000 personnes d’avoir un accès à la culture et aux loisirs, et à plus de 180 000 de profiter d’un minimum de vacances…
Site : secourspopulaire.fr
[1] Rapport du Conseil pour l’orientation de l’emploi (COE), « Le travail non déclaré », février 2019 : https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/coe-rapport-travail-non-declare-fevrier-2019.pdf Selon ce dernier rapport du COE), publié le 22 février 2019, le poids de l’économie souterraine s'élèverait à 12,6 % du produit intérieur brut (PIB) en France. Selon la même source, 2,5 millions de personnes seraient concernées par cette même économie informelle.
[2] Adjointe à la maire de Paris chargée de la solidarité, des familles, de la petite enfance, de la protection de l'enfance, de la lutte contre les exclusions et des personnes âgées.
Antoine Peilon
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Dans le plus strict respect des mesures d’hygiène, de petites équipes de salariés volontaires et de bénévoles ont assuré l’aide alimentaire et les maraudes qui, au-delà de l’aide matérielle, ont apporté un lien social vital aux personnes sans-abri.
Reportage au libre-service solidaire du Secours populaire de Paris (10, rue Montcalm, 75 018), le 23 avril 2020 : https://blogs.mediapart.fr/antoinepeillon/blog/180520/la-solidarite-contre-le-coronavirus-1
À 9 heures, ce matin, le rideau métallique du libre-service du Secours populaire de Paris, est à demi-relevé. La rue Montcalm, sur laquelle ouvre ce local qui est un ancien entrepôt, est encore déserte. Le temps est ensoleillé, comme depuis plusieurs semaines, tempérant un peu la gravité de la situation sanitaire et sociale par un air printanier qui nourrit aussi les conversations.
Ismaël Bejaoui, 37 ans, salarié du secours populaire (logistique, vestiaire et alimentaire, « ramasse »), depuis juin 2019, prépare le café pour l’équipe de bénévoles. Chauffeur de bus et de cars (tourisme, scolaires, pèlerinages…), entre 24 et 35 ans, il a eu le sentiment d’avoir « fait le tour de (s) on métier trop solitaire ». Il a donc fait « des études d’éducateur socioculturel ». « Je suis revenu à mes bases sociales, explique-t-il. On se sent plus utile. On ne travaille pas que pour de l’argent. Et les” mercis” de ceux que l’on aide font chaud au cœur. »
Cinq jours par semaine
Avant l’arrivée des bénévoles, Martin Van Der Hauwaert, 27 ans, gestionnaire du libre-service et de l’aide alimentaire du Secours populaire de Paris, règle les derniers détails d’organisation pour toute la journée. Le jeune homme ne perd pas une seule seconde, pressé de mettre à jour l’inventaire des ressources du jour qui commence, tant en marchandises qu’en nombre et en compétences des bénévoles attendus jusqu’à 11 heures. D’emblée, il exprime la tension et l’inquiétude dans lesquelles il accomplit sa mission, depuis le commencement de la pandémie de Covid-19 et du confinement.
Il est 9 h 10. Un premier petit groupe de bénévole se forme dans la cuisine du libre-service, faisant tous les efforts possibles pour respecter la distance d’un mètre au moins entre chaque personne. Abdel Nahas, 39 ans, bénévole, est présent cinq jours par semaine, du lundi au vendredi. Chauffeur livreur, ayant plusieurs années d’expérience professionnelle dans l’événementiel, il participe principalement à la « ramasse », mais aussi aux livraisons de repas dans les hôtels sociaux (Samu social) parisiens : « Actuellement, je ne travaille pas. J’utilise mes compétences pour me rendre utile, notamment pour les livraisons en camion et la gestion des palettes de marchandises. »
Aider concrètement les gens
Juliette Bézard a 23 ans. Elle est volontaire du service civique, depuis novembre 2019, travaille habituellement à l’antenne du XIIIe arrondissement du SP (accompagnement vers l’emploi), actuellement fermée pour cause de crise sanitaire. Elle raconte : « Je n’habite pas très loin d’ici. Je suis venue donner un coup de main dès le début du confinement. Le matin, souvent, j’accompagne Ismaël Bejaoui ou Pascal B. (lire, ci-dessous) dans leurs tournées de ramasse. Je participe aussi aux livraisons aux hôtels sociaux, ou à l’accueil, sur place, des bénéficiaires du Secours populaire. » Étudiante en russe (première année), après un master de management financier, deux ans d’apprentissage dans ce secteur d’activité ne l’ont « pas emballée plus que ça… ». « J’avais besoin d’aider concrètement les gens », explique-t-elle aujourd’hui.
Le passage matinal par la cuisine du libre-service n’est pas que convivial. Juliette Bézard y prend la température de Julie Robineau, 18 ans, étudiante en photographie et vidéo à l’École de l’image Gobelins, bénévole « depuis quelques mois ». « Dès le commencement de la crise sanitaire », celle-ci participe à tout : accueil, caisse, planning, distribution, cuisine à midi, pour l’équipe… Elle est « bien décidée, lorsque les cours reprendront à son école, à continuer de venir ici ». « Je m’y sens un peu plus utile que si je restais chez moi », dit-elle avec modestie. Son engagement actuel représente aussi « l’acquisition d’une expérience pratiquement professionnelle, équivalente à un stage, notamment dans la gestion des stocks ».
Avec le sourire
Juliette Bézard travaille habituellement à l’antenne du XIIIe arrondissement du Secours populaire (accompagnement vers l’emploi), actuellement fermée pour cause de crise sanitaire. En ce début de matinée, elle ne tarde pas à appeler les fournisseurs et donateurs habituels, avant que les tournées de « ramasse » ne commencent.
Profitant du calme avant la tempête, Pascal B., 43 ans, régisseur, bénévole, apprécie de converser avec Abdel Nahas, avant de partir en « ramasse » avec Julie Robineau. Vers 9 h 30, ces deux coéquipiers préparent leur camion, avant de partir dans le Nord de Paris (XVIIe et XVIIIe arrondissements). Dans l’habitacle, Julie Robineau règle la radio sur Radio Nova, afin de « rythmer l’ambiance ». Elle trouve que les relations entre bénévoles sont « géniales, hyperfamiliales, fondées sur le partage et les aspirations communes, malgré la diversité des histoires personnelles et des milieux d’origine ». « On fait tout avec le sourire », dit-elle.
Pascal B. souligne, avec humour, combien l’équipe actuelle du libre-service solidaire du Secours populaire est « jeune et dynamique, au point de (l) e fatiguer, parfois ». Cependant, il se dit « parfois découragé » par la profondeur de la crise sociale, vivant « au jour le jour » pour éviter de trop penser à l’avenir. « Il y a de plus en plus de misère, constate-t-il. Le nombre de sans-abri et de gens dans la galère est de plus en plus important ! »
Il raconte ainsi : « Un de nos bénéficiaires, J., m’a dit qu’il ne mangeait plus pour éviter d’avoir à aller aux toilettes, dans la rue. Au début du confinement, nous servions entre 70 et 80 familles par jour. Aujourd’hui, nous en sommes à environ 150. Avant, les bénéficiaires nous prenaient principalement les produits frais et laissaient souvent les boîtes de conserve. En ce moment, ils prennent tout. Ils n’ont plus la possibilité de s’approvisionner en glanant au moment des fins de marchés, ceux-ci ayant été interdits. Au-delà de la nourriture, qui manque de plus en plus, les SDF sont isolés comme jamais, alors qu’ils ont surtout besoin de lien social, qu’on leur parle. »
Une collecte à la baisse
Il est 9 h 55. Pascal B. et Julie Robineau arrivent à l’entrepôt de Metro Paris Nord La Chapelle, grossiste pour professionnels. Ils sont impressionnés par « le vide », dans le parking comme dans les locaux commerciaux. Ici, nul n’entre s’il ne s’est pas désinfecté les mains… Les deux bénévoles sont accompagnés par Meslem, 45 ans, agent de sécurité, qui trouve « sympa » l’action du Secours populaire. Rapidement, Julie Robineau réceptionne le chariot de marchandises préparé chaque jour par l’entrepôt du grossiste. Elle y jette un premier coup d’œil : aucun produit ne doit, théoriquement, avoir dépassé la date limite de péremption.
Les quantités de marchandises récoltées sont à la baisse, depuis quelques mois, du fait de la pratique de plus en plus massive des « promotions » (produits arrivant à leurs dates limites de péremption). Julie Robineau raconte qu’elle n’a « pas vu venir la pandémie ». Mais, aujourd’hui, ayant vécu pendant sept ans à Dakar (Sénégal), elle exprime « (s) a peur pour l’Afrique ». Pour l’avenir, elle se dit « plutôt optimiste », pensant que « nous vivrons autrement, après cette mauvaise passe ». Avec Pascal B., elle vérifie plus précisément le chargement du chariot de marchandises (dates de péremption des produits). En toute confiance ! La jeune femme témoigne du fait que les relations avec les commerçants sont « presque amicales ». Ajoutant : « Ils sont super-gentils, nous connaissent, nous reconnaissent, nous encouragent souvent. » Mais aujourd’hui, le chariot est étrangement chargé de foie gras, beurre, jambon, terrines… Beaucoup de bénéficiaires du Secours populaires, étant musulmans, ne peuvent consommer du porc.
L’humanité des commerçants
Il est 10 h 45. Julie Robineau, conduit un nouveau caddie de marchandises, préparé chaque jour par le Super U de l’avenue de Clichy (Paris XVIIe), géré par Maurice Charbith et son fils Nathan. La valeur annuelle des produits fournis par ce supermarché de quartier au Secours populaire est estimée à environ 90 000 € (60 % en déduction d’impôt). « C’est gagnant-gagnant », commente Maurice Charbith, ajoutant qu’il est « content, aussi, de participer à l’œuvre du Secours populaire ». Avant de commenter : « Cela pallie un problème, mais ne le résout pas. » Comme Pascal B., Julie Robineau se dit « touchée par l’humanité des commerçants, les caddies préparés avec soin, les responsables de rayons qui rajoute des produits, au passage… » De fait, ce matin, la boulangère du Super U de l’avenue de Clichy encourage les deux bénévoles par ses plus beaux sourires.
Il est 11 h 10. Le gérant du Naturalia de la rue Duhesme (Paris XVIIIe) aide, lui aussi, à charger les produits qu’il donne, comme chaque jour, au Secours populaire. Dix minutes plus tard, avant de repartir vers les locaux de l’association, un instant de pause permet à Pascal et Julie de souffler un peu, de prendre le soleil, de fumer une cigarette. À 11 h 35, la ramasse reprend et passe par la réserve du Monoprix de la rue du Poteau (Paris XVIIIe). Il est temps de revenir rapidement au libre-service de la rue Montcalm où la distribution des aliments commencera dans moins d’une heure.
Une alliance inédite
Sur place, Kamel, bénévole de l’Armée du salut, vient chercher, aujourd’hui, des aliments au Secours populaire. « Depuis le confinement, c’est "Je te donne, tu me donnes…", raconte-t-il. Aujourd’hui, nous manquons de ressources et eux (le SP) ont de quoi donner… » Une exceptionnelle coopération inter-associations s’est effectivement mise en œuvre, depuis le début de la crise sanitaire. « Appui mutuel et complémentarité sont désormais les maîtres-mots pour un tissu associatif parisien mobilisé contre les effets sociaux de la pandémie », selon un dernier communiqué du Secours populaire de Paris.
Le 17 avril, la fédération parisienne de l’organisation se félicitait clairement de cette alliance inédite : « Tous les jours, nos amis des Restos du cœur, des Banques alimentaires, de Linkee, du Chaînon manquant, du Refettorio, approvisionnent notre centre alimentaire de la rue Montcalm en surplus alimentaires, produits de ramasse et produits d’hygiène. De notre côté, nous démultiplions notre solidarité en livrant en denrées alimentaires et paniers repas les associations qui fournissent repas et/ou hébergement aux plus fragiles, notamment les migrants et les sans-abri. On citera la Chorba, l’Un est l’autre, l’Armée du salut, le Samu social, Utopia 56, la Soupe populaire de Paris, Action contre la faim ou encore l’association Aurore. Sans oublier les autres grands acteurs de la solidarité – Croix-Rouge, Secours catholique, MSF – avec lesquels nous échangeons en toutes occasions information et coups de main pour une logistique toujours plus efficace et bénéfique au plus grand nombre. »
Une chute des dons
À partir de midi, les bénéficiaires de l’aide alimentaire du Secours populaire prennent place dans la file d’attente. Les colis alimentaires préparés dans le local comprennent, autant que possible, des fruits et légumes. Martin Van Der Hauwaert, 27 ans, gestionnaire du libre-service et de l’aide alimentaire du Secours populaire de Paris, explique, lui aussi, que la coopération inter-associations actuelle est « un nouvel axe » appelé à perdurer. « Nous avons mis en œuvre une plate-forme inter-associations, dès le début du confinement, raconte-t-il, en utilisant nos téléphones et des groupes de discussion sur messageries numériques. Partage de marchandises, de ressources logistiques, mais aussi de bénévoles : c’est un vrai réseau qui s’est constitué très vite sur Paris, mais aussi en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine. Notre notoriété, comme celle de grandes associations, fait que nous recevons parfois plus de dons que nécessaire, aussi nous répartissons la charge de leur distribution avec d’autres associations, moins bien pourvues. Ce partage des ressources, c’est un vrai plus pour les années à venir. »
Cependant, « depuis quelques jours, nous enregistrons une chute des dons alimentaires, alerte le jeune homme, et les stocks ne tiendront que jusqu’à la fin du mois de mai ». Avant de préciser : « Seuls les acteurs industriels, les grossistes ou grands transporteurs, nous proposent encore de la marchandise. Mais c’est souvent :”Vous prenez tout ou rien’’, à propos de lots impossibles à stocker avec nos moyens actuels. D’où la nécessité de nous coordonner et de gérer ensemble des zones tampon de stockage, des chambres froides, dans des gymnases, des locaux scolaires inoccupés… »
Rappel des règles d’hygiène
Martin Van Der Hauwaert confirme les informations données par Pascal B. dans la matinée : « Ici, au libre-service solidaire du Secours populaire, avant la pandémie, nous subvenions aux besoins alimentaires de 65 familles, chaque jour, en moyenne. Aujourd’hui, ce sont 150 familles qui viennent jusqu’à nous quotidiennement. À cela, il faut ajouter – ce qui est nouveau pour nous - les 1 500 repas que nous livrons, chaque jour encore, grâce à cinq véhicules réfrigérés, dans les hôtels sociaux de Paris, une vingtaine d’établissements du Samu social. »
À midi et demi, juste avant l'accueil des bénéficiaires, Martin Van Der Hauwaert fait son briefing quotidien à l'équipe des bénévoles. Rappel des règles d'hygiène ; annonce, ce jour-là, de la suppression des colis d'urgence à partir du lendemain à cause d'une rupture de stock ; nécessité renforcée de ne plus servir les personnes « hors critères », notamment géographique (92 et 93) ; répartition des six tables d'accueil et des autres tâches à accomplir (caisses, approvisionnement...). Juliette Bézard est songeuse. Et le regard de Lucile Gasseau, 34 ans, bénévole, habituellement mobilisée sur les cours d’alphabétisation proposés par le Secours populaire, est traversé par une ombre d’inquiétude.
Donner à tout le monde
À 12 h 35, les premières et premiers bénéficiaires entrent dans le local, après avoir désinfecté leurs mains au distributeur de gel hydroalcoolique. Tous les produits distribués sont comptabilisés par Juliette Bézard. Et les cartes de bénéficiaires sont mises à jour. Les lots d'aide alimentaire permettent de se nourrir pendant plusieurs jours et comportent des produits frais. De toute façon, les bénéficiaires sont encouragés à faire leur choix parmi les aliments qui leur sont proposés.
À 13 h 30, des bénévoles, dont Émeline Germain, 29 ans, architecte, permis de conduire en poche, partent livrer, jusqu’à 17 heures environ, des repas dans des hôtels sociaux parisiens. La jeune femme trouve important de pouvoir « donner à tout le monde, même à celles et ceux qui ne peuvent venir jusqu’au libre-service, ou qui ne sont pas des bénéficiaires encartés du Secours populaire, ou qui sont obligés de rester intégralement confinés, pour des raisons d’âge ou de santé… » De façon générale, Les bénéficiaires représentent presque toujours des familles. Et en un mois, leur nombre a plus que doublé (de 65 par jour, en moyenne, à près de 150...) !
Un énorme dégât social
Il est presque 17 heures et l’ambiance se détend à peine, après l’afflux des bénéficiaires. Martin Van Der Hauwaert, sous tension, est au bord de l'épuisement. Sur le trottoir, devant la porte encore ouverte du libre-service, François Baron, 66 ans, secrétaire départemental (Paris) du Secours populaire, bénévole à raison de 3 jours par semaine, est très critique quant au confinement général, la gestion gouvernementale de la crise sanitaire, les causes écologiques de la pandémie de coronavirus..., mais relève la vitalité de la solidarité (bénévoles, dons...) et la mutualisation nouvelle des moyens entre associations.
Il ne comprend pas la radicalité du confinement qui génère, selon lui, « un énorme dégât social, notamment pour « les personnes âgées, isolées, fragiles, malades ou à la rue ». Il dénonce « une gestion publique de la société trop éloignée de l’intérêt commun » et « cette folie de la croissance… ». Cependant, François Baron se dit très encouragé par le nombre croissant de bénévoles et le développement des liens avec les autres associations. « Quand je vois toute cette solidarité humaine ! », se rassure-t-il.
(Encadré 1) Abdelsem Ghazi
Secrétaire général de la fédération de Paris du Secours populaire
« Les pouvoirs publics sont dépassés »
Comme Martin Van Der Hauwaert, gestionnaire du libre-service et de l'aide alimentaire du Secours populaire de Paris, Abdelsem Ghazi pense que la demande d’aide alimentaire sera croissante, au moins jusqu’à la rentrée de septembre. « Nous sommes dans une crise humanitaire d’urgence et ça devient catastrophique », affirme-t-il. « Toutes les personnes qui vivaient ’’sur le fil’’ ont perdu toute possibilité de subvenir à leurs besoins vitaux. Nous agissons sans visibilité depuis cinq semaines. Aujourd’hui, la pénurie alimentaire est à l’ordre du jour, surtout pour les produits frais, mais aussi pour ’’le sec’’. Par ailleurs, les dons en argent sont au plus bas, alors que les demandent d’aide ont presque doublé en cinq semaines. Nous livrons ainsi des centaines de repas dans les hôtels sociaux ou chez des personnes âgées ou handicapées qui ont été complètement confinées, ce qui est évidemment nouveau. »
À propos de son organisation, Abdelsem Ghazi relève que « les salariés sont hyperfatigués, travaillant actuellement au maximum de leurs capacités ». Avant de préciser : « Sur Paris, nous soutenons quelque 19 000 bénéficiaires, chaque année, en moyenne. Nous serons très prochainement au doublement de ce nombre ! Or, les pouvoirs publics sont dépassés, même si la Ville de Paris, et Dominique Versini[2] en particulier, fait un excellent travail de coordination. Quant à l’État, il est aux abonnés absents. »
« Heureusement, précise le secrétaire général du Secours populaire parisien, nous échangeons beaucoup, comme jamais auparavant, avec presque toutes les autres associations, via le téléphone ou des groupes de discussion électronique. Que ce soit pour l’accès au marché professionnel de Rungis, ou des achats directs auprès de producteurs. C’est une pratique d’échanges que nous avions déjà avec l’Armée du salut, par exemple, notamment en faveur de l’alimentation des réfugiés de la porte de la Chapelle (Paris XVIIIe). Nous avons une bonne expérience de la collecte d’aliments et eux sont très efficaces dans la distribution. C’est un partage d’expériences, qui produit une meilleure efficacité. »
Pour les semaines à venir, Abdelsem Ghazi craint que le déconfinement et la fin du chômage partiel n’entraînent une chute du nombre de bénévoles disponibles, surtout en ce qui concerne les plus jeunes et les nouveaux. L’engagement spontané, rapide et massif de ceux-ci fut d’ailleurs une très bonne surprise : « Depuis un mois, nous avons reçu plus de mille propositions de participation ! » Autre sujet d’espoir, les discussions avec les autres associations ouvrent « de nouvelles pistes de réflexion pour plus de travail en commun, pour plus d’approvisionnements en produits locaux et de saison, plus de missions communes ». De même, le secrétaire général du Secours populaire de Paris note avec bonheur l’évolution morale des bénévoles, « moins militants, certes, mais plus en recherche d’un sens à leur engagement ».
(Encadré 2) Le Secours populaire
Né à la Libération, en 1945, le Secours populaire est une association reconnue d’utilité publique qui « s’est donnée pour mission d’agir contre la pauvreté et l’exclusion en France et dans le monde et de promouvoir la solidarité et ses valeurs ». Grâce à l’engagement de ses quelque 80 000 bénévoles, le Secours populaire aide, chaque année, plus de 40 000 personnes dans leur insertion professionnelle, accompagne le même nombre d’enfants en soutien scolaire et dans la lutte contre l’illettrisme, permet à plus de 115 000 personnes d’avoir un accès à la culture et aux loisirs, et à plus de 180 000 de profiter d’un minimum de vacances…
Site : secourspopulaire.fr
[1] Rapport du Conseil pour l’orientation de l’emploi (COE), « Le travail non déclaré », février 2019 : https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/coe-rapport-travail-non-declare-fevrier-2019.pdf Selon ce dernier rapport du COE), publié le 22 février 2019, le poids de l’économie souterraine s'élèverait à 12,6 % du produit intérieur brut (PIB) en France. Selon la même source, 2,5 millions de personnes seraient concernées par cette même économie informelle.
[2] Adjointe à la maire de Paris chargée de la solidarité, des familles, de la petite enfance, de la protection de l'enfance, de la lutte contre les exclusions et des personnes âgées.
Antoine Peilon